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Parents toxiques : peut-on devenir une « bonne mère »*, quand on a eu une « mauvaise » mère ?

écrit par Alexandra Lecart, Psychologue (2019)

Cette question est tant de fois posée lors des consultations psychologiques de personnes ayant des parents toxiques. On parle beaucoup des victimes de pervers narcissiques dans le couple, le milieu professionnel ou l’amitié, mais on parle encore peu des enfants de parents dits « toxiques ». D’ailleurs depuis le livre du psychiatre Alberto Eiguer (1996), on ne parle plus de « victime » mais de « complice », cette relation pathologique qui se nomme également « danse à deux », un tango de la passion qui se transforme en valse de la mort. Mais qu’en est-il des enfants ? Peut-on parler de choix amoureux, de transfert, de répétition ? Pour les enfants de parents toxiques, non, c’est autre chose.

La mère est rarement critiquée. Icône incontournable des familles et de la société, si quelque chose ne va pas dans la relation mère-enfant, ce sera toujours l’enfant qui aura tord, portant alors le rôle du « mauvais enfant ». A priori, toute femelle est faite pour la reproduction, et donc pour être mère, mais toutes ne deviennent pas « maman ». Le lien mère-enfant est très fort, il est si puissant qu’il peut être altéré ou de mauvaise qualité. L’amour pour sa mère n’est donc pas inaltérable. Aimer sa mère, c’est très facile, grâce à la figure d’attachement, la loyauté infantile…  détester sa mère, c’est plus difficile. D’abord en raison de la logique, mais aussi de l’ambivalence des sentiments et enfin des obligations sociales. Comment oser penser qu’une mère pourrait détester son enfant, en être jalouse ou lui vouloir du mal ? Est-on normal si on se protège de sa mère ? Comment expliquer aux autres autour de soi que sa mère est toxique ? Très peu de gens peuvent avouer « je n’aime pas ma mère » ou « plus je suis loin d’elle, mieux je me porte », les mots sont trop violents, le tabou encore trop fort et l’image de la mère demeure socialement sacrée. Cette icône de maternité est intouchable, il y a heureusement des millions de mères « suffisamment bonnes », comme l’a identifié et décrit le psychanalyste et pédiatre anglais Donald Winnicott. Toutes ces mères dévouées à leurs enfants, qui pourraient mourir pour eux, et qui dans leur amour et leur don de vie incommensurable, se dépassent de trésors d’amour, de sacrifices et de dévotion. Car qu’est-ce qu’une bonne mère ? Chacun a sa propre définition, et cela prouve les millions de modèles aussi bienveillants qu’aimants. La mère, très souvent figure d’attachement en psychologie, est celle qui satisfait les désirs de l’enfant, répond à ses besoins et permet d’acquérir sereinement l’autonomie de l’adulte. La mère souhaite que l’enfant soit « rempli » et elle le nourrira de toutes les manières dont elle sera capable de le faire. Après le lait, la nourriture, le holding et les soins, il y aura également les moments partagés, la tendresse, les paroles valorisantes, les cadeaux, les services rendus… La maternité c’est le don, tout simplement. L’amour sans conditions aucune.

Face à ces nombreuses techniques de manipulation et de destruction indirectes, invisibles et progressives, les questions restent les mêmes face au psychologue : si cette personne est ma génitrice, qu’en est-il de moi ? Vais-je répéter le schéma pervers inconsciemment ? Avec un tel modèle, puis-je être une bonne mère ? Dans ces questions s’expriment toute la souffrance qui se distille d’un questionnement existentiel incontourable, une manifestation de l’impuissance, du désarroi et de la tristesse. Etre mère, l’une des plus belles choses au monde ? Et si la transmission était imparable, aussi perverse que l’auteur dont on peut être victime. La réponse heureusement est non. A toutes ces femmes qui ont peur, peur de répéter, peur de ne pouvoir aimer les enfants qu’elles ont mis ou vont mettre au monde, qu’elles sachent que la perversité ne franchit pas toutes les barrières psychologiques et qu’on peut arrêter le schéma. Bien sûr, il y aura des séquelles à travailler, mais on peut devenir une « bonne » mère quand on a eu une « mauvaise » mère.

C’est bien la question des filles qui deviennent femmes, puis mères : « Miroir, mon beau miroir, dis-moi si je lui ressemble ? ». Certaines filles sont enchantées et épanouies dans le lien de transmission, tentant d’honorer ce « cordon » plein d’amour et de maternité, d’autres femmes seront plus anxieuses à l’idée de revoir dans leurs comportements ou à travers leur « voix », la voie de celle qui a toujours voulu « parler à leur place ». Car si l’image de la mère traditionnelle est intouchable, la mère toxique le sait et viendra se cacher derrière le masque de l’indétrônable, de l’inaccessible et de l’incriticable : symbole de la mère. Les mères narcissiques ou perverses le savent bien et contrôlent leur image à la perfection : victimisation, culpabilisation, projection… les symptômes sont les mêmes chez les pervers narcissiques hommes ou femmes. En premier lieu, tout est dans l’image, ensuite les « chaud » et les « froid » se succèdent, faisant place à des « pics » destructeurs et parfois fatals. Une seule parole, une seule phrase, peut tout remettre en question, chambouler le lien et écraser l’enfant victime. Le doute est d’autant plus grand que la manipulation est opérante depuis tant d’années de vie et d’éducation. « Puis-je devenir une bonne personne et encore plus, une bonne mère, si les « breuvages » psychologiques de ma propre mère n’ont été que poison invisible et perversion transparente ? » Des questions confiées en consultations, car seules les enfants victimes peuvent savoir à qui ils ont affaire. Etre crédible ? C’est une autre histoire, leurs parents sont si parfaits d’apparence, sans défauts. Pourtant les conséquences sont bien là : somatisation avant ou après de voir le parent toxique, évitements, souffrance chronique, névroses diverses, mauvaise estime de soi… S’avouer que l’on a une mauvaise mère est difficile et cela prend du temps. Après avoir passé la culpabilité, la colère contre elle et contre soi-même, c’est un deuil, une acceptation et une identité qui se mettent en place : « Je ne suis pas elle ». Pourtant, c’est bien le contraire qu’elle essayait de faire croire depuis toujours. Fusion, jalousie, vampirisme… la mère toxique vient puiser en son enfant tout ce dont elle a besoin, tout en lui faisant croire qu’il n’est rien sans elle, alors que c’est bien le contraire dont il s ‘agit. Détruire pour survivre, être dans un combat fictif permanent où le monde est une jungle et où il faut être parano pour s’en sortir, la mère toxique après avoir donné la vie, a distillé goutte à goutte (car la perversion prend son temps, c’est son essence même), un « lait » empoisonné dont l’enfant ne pourra survivre. Si tout ceci n’est que psychologie, les symptômes sont pourtant visibles quand on ouvre les yeux, seulement cela dérange « ma mère me détruit je dois prendre de la distance » est inaudible pour la plupart des personnes qui ont une mère « suffisamment bonne ». L’outrage est pourtant bien celui d’une mère qui n’a pas su ou pas pu, identifier son mal pour protéger son enfant. On connait le mythe de Médée (l’infanticide), la mère qui tue ou qui est dangereuse dérange. Qui protège-t-on ? Le choc originel est d’autant plus grand pour l’enfant victime. La mère narcissique et perverse a des mécanismes de défense développés par son trouble de la personnalité qui l’empêchent de voir qui elle est vraiment. Si elle ne peut le voir et que la perversion est invisible, qui va protéger l’enfant ? Le traumatisme est d’autant plus violent que c’est l’enfant-victime qui doit l’identifier, l’accepter et s’en défaire. Ce qui explique sa perpétuelle ambivalence amour-haine, n’étant autre que le reflet d’un lien « thanato-dépendant ».

Dire qu’on déteste sa mère est un passage presque obligé à l’adolescence, ces moments font partie du développement de l’enfant. Dans cette relation fusionnelle par nature, la violence des sentiments est également proportionnelle à l’intensité de la fusion. Mais dans une relation perverse avec une mère, il est question de « dette de vie » imposée psychologiquement à l’enfant, induisant un message aussi violent qu’aliénant « je t’ai donné la vie donc tu me dois… » L’espoir de l’enfant victime puis de l’adulte victime feront place, espérons-le un jour, à un deuil : « j’ai le droit de ne pas aimer ma mère ». S’éloigner, éviter ou couper, les stratégies de survie dépendent d’une personne à une autre autre, chacun choisissant son modus vivendi. Le choix réside dans ses propres capacités et ressources à faire face à l’amour toxique. Le temps et un travail sur soi pouvant aider au détachement, fragile face à la mère, mais possible et salvateur face à une mère dans l’incapacité d’aimer.

* Référence à la notion psychologique de « la mère suffisamment bonne » (« good enough mother » en anglais) de Donald Winnicott, psychanalyste anglais qui inventa ce terme en 1953 pour définir un concept qui regroupe « la préoccupation maternelle primaire », « la mère ordinaire normalement dévouée » et « la capacité d’être seul » (défni dans 3 articles dans son ouvrage éponyme)

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